Améliorer le rendement des érables, une samare à la fois

Améliorer le rendement des érables, une samare à la fois
Par Pascale Lévesque, Le Soleil
22 août 2024 à 04h00





Érablière. Archives de la Voix de l'Est.
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Jamais ce genre de recherche académique sur la génétique des érables n’a été menée ici auparavant. (Archives La Voix de l'Est)
Le legs de l’homme qui plantait des érables - pour les rendre plus performants - est sauvé. Une équipe de scientifiques de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) reprendra les travaux de Marcel Faucher, pionnier de la génétique en acériculture de Saints-Anges en Beauce.
C’est une première. Jamais ce genre de recherche académique sur la génétique des érables n’a été menée ici auparavant. «Le sirop d’érable coule dans les veines des Québécois, c’est dans notre ADN, note Michaël Cliche, l’ingénieur forestier au cœur du projet co-piloté par l’UQO et l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce (APBB). Malgré tout, la recherche en foresterie était surtout axée sur l’exploitation des résineux.»

De la sève d'érable s'écoule dans un seau à sève en aluminium fixé à un érable par un bel après-midi de printemps ensoleillé.
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La génétique au service des érablières est maintenant au coeur d'un projet de recherche mené à Saints-Anges en Beauce. Des arbres plus productifs, mais aussi plus résiliants aux nouveaux défis qu'imposent les changements climatiques.

Il faut remonter plusieurs années en arrière pour bien mesurer ce qui se trame à Saints-Anges et comprendre comment l’héritage de l’Angelinois décédé en 2019 pourrait servir aux quelque 28 000 exploitations acéricoles québécoises. Plus précisément, la potentielle découverte de la clé pour de la sève plus abondante et plus sucrée, et des arbres qui sont résistants aux éléments et aux nouvelles menaces exacerbées par les changements climatiques.

Choisir, planter, repiquer
Dans les années 80, Marcel Faucher est un technicien forestier passionné qui exploite l’érablière familiale. Inspiré par une étude américaine qui a révélé le potentiel génétique des érables à sucre pour améliorer la teneur en sucre de leur sève, il tente l’expérience sur sa terre.

Il sélectionne les arbres les plus productifs de son exploitation, en récolte les samares, les sème - plus de 40 000 - puis repique des milliers de plans pour finalement planter 9000 arbres dans un champ agricole qu’il a acheté exprès pour mener ses travaux. Sa forêt triée sur le volet a donné naissance à des super-érables améliorés.
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Les chercheurs de l'Université du Québec en Outaouais cartographient la plantation d'érables à sucre de la famille Faucher en Beauce en analysant l'ADN d'échantillons de feuilles prélevés sur chaque arbre.


Sauver le projet d’une vie
«Je faisais de l’aménagement forestier à Saint-Georges de Beauce quand j’ai entendu parler de l’érablière de Marcel Faucher. À son décès, j’ai eu peur que le projet s’éteigne avec lui. Il y avait quand même 30 ans d’efforts et des milliers d’heures investies dans ces érables. Ça aurait été dommage de perdre ce savoir-faire et ces connaissances.»

— Michaël Cliche, ingénieur forestier
Alain, le fils de Marcel, avait repris l’exploitation, mais le départ précipité de son père a limité la transmission du savoir.

La synchronicité a joué en leur faveur et Yann Surget-Grobat, professeur en génomique à l’UQO, est arrivé à point pour poursuivre l’histoire.

«En arrivant à l’université comme chercheur en biologie évolutive, j’ai été très surpris du peu d’études sur la génétique des érables, évoque le Français d’origine. À force de déposer des projets de recherche à ce propos, je suis tombé sur le cas de Marcel Faucher et, quel adon, un des étudiants à la maîtrise que je supervisais travaillait sur sa plantation.»

Vous l’aurez deviné, il s’agissait de Michaël Cliche.

Reprendre du début, rattraper le retard
«Ce qu’on a ici est unique, commente le chercheur emballé de participer à la première phase de ces travaux qui doit s’achever au courant de 2025. On a du rattrapage à faire et on reprend du début. On sait qu’il y a 13 familles d’érables, mais il faut refaire une cartographie complète et identifier chaque arbre pour identifier tous les parents. Pour y arriver, on analyse l’ADN de chaque arbre en prélevant des feuilles.»

Les chercheurs pourront ensuite se pencher sur les traits qui les intéressent, par exemple le taux de sucre ou la croissance et départager ce qui est dû à la génétique et ce qui provient de l’environnement.

Des travaux échelonnés sur plusieurs décennies
Sachant qu’un érable à sucre ne sera pas au sommet de sa production avant l’âge de 50 ans, on peut se demander comment - et surtout quand - les acériculteurs pourront profiter des travaux menés par l’UQO et l’APBB. «On ne pourra pas changer nos érablières actuelles, mais on peut introduire des gènes d ‘intérêt», précise Michaël Cliche.

«Personne ne va raser sa terre et recommencer à neuf. Par contre, avec ces nouvelles connaissances génétiques, les acériculteurs pourraient judicieusement sélectionner les jeunes érables à éliminer au moment d’éclaircir leur érablière. Et ce avant même de les avoir entaillés.»

— Yann Surget-Grobat
Bref, séparer les individus moins performants de ceux qui ont des prédispositions positives de production et de résilience aux éléments, comme la température et les insectes ravageurs.

Se préparer contre un avenir incertain
Bien que les acériculteurs aient connu une saison record l’an dernier avec plus de 239 millions de livres de sirop d’érable qui ont été récoltés au printemps, ils savent que leurs exploitations sont vulnérables. Les érablières subissent une pression croissante en raison de la demande mondiale de sirop d’érable exacerbée par des conditions climatiques imprévisibles, telles que les sécheresses et autres événements météo extrêmes.

Le sirop d'érable est l'aliment emblématique de la province, mais sa production est soumise à toutes sortes de pressions. La génétique se révèle un outil de plus pour assurer la pérennité de sa production.
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À preuve, la tempête qui a frappé Chartierville en janvier et qui a mis à terre plus de 600 érables d’une seule et même exploitation. Des arbres parfois âgés entre 100 et 150 ans.

«Les racines des érables à sucre sont en surface, explique Michaël Cliche. C’est donc important de favoriser des arbres qui ont des bons systèmes racinaires, résistants au vent et capables de puiser l’eau profondément dans le sol. C’est justement parmi les traits qu’on va vouloir valoriser.»

Bien que l’aménagement forestier et l’amélioration des sols restent essentiels, la génétique pourrait devenir un outil crucial pour les producteurs acéricoles. Comme L’homme qui plantait des arbres de Jean Gionet n’a jamais vu sa forêt de chênes, Marcel Faucher n’aura pas la chance de goûter le sirop de ses super érables. Mais grâce à son fils et aux scientifiques qui prennent sa relève, le fruit de son travail coulera dans des érablières partout sur le territoire québécois et même, peut-être, au-delà.



Pascale Lévesque, Le Soleil
Journaliste depuis 20 ans, Pascale Lévesque a travaillé comme reporter, chroniqueuse et animatrice dans divers médias, du Journal de Montréal à Radio-Canada en passant par le 98,5. En poste au Soleil depuis 2024, elle revient à ses racines en presse écrite et dans sa ville natale.